Dans ce manga-réalité, l’artiste et mangaka Rokudenashiko nous raconte son histoire, de ses débuts professionnels hésitants à son travail d’artiste controversée. Tout en décrivant ses arrestations et son ressenti, l’artiste japonaise s’interroge sur ce qui est dérangeant dans l’art manko (art vaginal) sans jamais douter de la beauté et de l’innocence de son art. Elle raconte avec humour et sans faux-semblant comment son parcours l’a menée à devenir une véritable artiste de la vulve, cet art qui a fait d’elle une criminelle.

C’est un peu sur un coup de tête fantaisiste qu’elle a créé son premier moulage de vulve, l’ornant de couleurs et de jolis motifs. Incomprise par son entourage familial, amical et professionnel, elle envisageait de tout arrêter lorsque le hasard a mis sur son chemin une femme qui l’a littéralement sauvée en lui disant simplement combien son art était beau et lui donnait de la joie. Cela a été le déclic pour développer son art plutôt que mettre un terme à sa vie.

Elle a par la suite créé de nombreux deco-man (décorations ayant pour base un moulage de vulve) et dioramas (imaginez des scènes de vie classiques posées sur une vulve qui se fond dans le décor…). Son talent est reconnu à l’étranger. Pour résister aux critiques qu’elle essuyait au Japon et faire tomber le tabou autour du sexe féminin, elle a souhaité faire des œuvres manko de plus en plus grandes. Cela lui a valu les foudres des autorités japonaises qui jugeaient son art obscène.

Tout en partageant son histoire, Rokudenashiko pose la question des limites entre le corps féminin, l’art et l’obscénité. Le manga est parsemé de double-pages apportant des précisions sur la culture japonaise, son système judiciaire et l’affaire Rokudenashiko. Un entretien entre le réalisateur controversé Sion Sono (son œuvre dénonce la société capitaliste et la condition de la femme japonaise) et l’artiste manko y est également reproduit.


Ce que je retiens de ma lecture ? Il est à la fois amusant et consternant d’observer au 21e siècle tant de contradictions dans une même culture, contradictions qui peuvent mener à la prison sans qu’un crime ne soit commit. En effet, chaque année en avril, les Japonais fêtent Kanamara Matsuri à Kawasaki. Ce festival shinto célèbre la fertilité et est symbolisé par un pénis en érection (mara signifie pénis et kanagu fer, soit « phallus de fer »). Le sanctuaire conserve trois pénis géants exhibés lors d’une procession et les festivités sont l’occasion de mettre à la vue et entre les mains de tous moult représentations, sculptures, accessoires vestimentaires et friandises représentant un pénis en érection. Certes, le Japon est un pays qui mêle traditions ancestrales et modernité et l’on pourrait s’arrêter à cette dualité pour expliquer l’arrestation de l’artiste japonaise. Mais l’on peut aussi s’interroger sur les fondements de ce malaise qui pourrait avoir pour origine le « devoir » de soumission d’un sexe à l’autre (et donc l’obligation de discrétion), ou bien la crainte qu’éveillent le sexe féminin et ses mystères. Selon Rokudenashiko, si le sexe féminin était moins caché, il ne serait pas l’objet d’un tabou.


Pour aller plus loin :

  • Le site de Rokudenashiko comporte une page en anglais décrivant son parcours et son art. Le reste du site est en japonais, mais l’on peut y voir ses créations.
  • Le documentaire Female Pleasure, dans lequel apparaît Rokudenashiko, aborde le sexe féminin et l’amour dans diverses cultures à travers le portrait de cinq femmes.


L’art de la vulve, une obscénité ?
Rokudenashiko
éditions Presque Lune (2018)