Dans ce roman raconté à deux voix, deux mondes se côtoient : le petit peuple, incarné par Renée, concierge de son état, et la haute bourgeoisie, avec Paloma, jeune collégienne. Toutes deux sont éloignées par la naissance et les conditions de vie, mais proches au quotidien : Renée est la concierge de l’immeuble parisien où vit Paloma. Elles se croisent parfois dans un couloir. Toutes deux vivent tant bien que mal, plutôt mal en fait, l’appartenance à leur classe sociale et chacune s’évertue à satisfaire au rôle qui correspond à son rang. Renée donne le change en jouant les concierges bourrues et incultes ; Paloma demeure une petite fille calme et bien élevée. Malgré leur appartenance à deux classes bien distinctes que l’on ne saurait mélanger ni comparer, elles ont un point commun qui les rapproche discrètement : chacune possède un cerveau particulièrement vif qu’elle l’utilise pour comprendre les autres et la vie. Renée est remarquablement lettrée et ses chapitres en témoignent : ils sont agréables à lire pour qui aime le verbe et les belles tournures. De son côté, Paloma décrit avec lucidité le monde adulte et ses futilités ; elle jette sur la société qui l’entoure son regard acéré d’enfant qui envisage de mourir plutôt que devenir un de ces adultes. Un troisième personnage arrive et son exotisme fait le lien entre ces deux mondes, ces deux cerveaux, ces deux cœurs. Parce qu’il est issu d’une autre culture, ou bien doté d’une philosophie qui ne l’enferme pas dans le déterminisme, il s’autorise les rencontres, faisant fi des cadres étriqués pour donner toute sa place à l’humain. Tel un baume, il apaise et permet à Renée comme à Paloma de dépasser les frontières sociales pour s’autoriser à être elles-mêmes, sans jugement, peur ou convention. Il leur donne l’envie de vivre et l’audace de sortir des rôles assignés par une société de classes.
Ce que je retiens de ma lecture ? Tout d’abord, le plaisir de lire de belles phrases, bien construites et avec un vocabulaire riche. Ensuite, la curiosité de lire Anna Karénine de Tolstoï. Enfin, au cours de ma lecture, j’ai plusieurs fois pensé au film d’animation Ratatouille et aux mots d’Anton Ego expliquant les propos d’Auguste Gusteau : « Tout le monde ne peut pas devenir un grand artiste. Mais un grand artiste peut surgir n’importe où. » L’éducation et la grandeur d’âme sont indépendantes du nombre de diplômes et de la classe sociale ; cela a surtout à voir avec la conscience que l’on a du monde et de l’humanité, la force vitale qui nous anime et l’audace dont on fait preuve ou non pour dépasser les préjugés, les apparences et les frontières invisibles.
Pour aller plus loin :
- Le hérisson, adaptation cinématographique du roman, avec quelques scènes en sus et beaucoup d’autres en moins. Le spectateur n’aura probablement pas la même compréhension ni le même ressenti que celui qui a préalablement lu le roman. Les classes sociales sont moins marquées que dans le roman, le fossé paraît moins large même si la frontière entre les deux est bien tangible. L’histoire se déroule principalement au gré des événements et des réflexions de Paloma ; les pensées et les souvenirs de Renée nous manquent assez souvent, remplacés par des silences éloquents ou à déchiffrer. Mais il est toujours intéressant de comparer les différentes interprétations d’un même récit pour approcher les divers aspects d’une histoire, d’une problématique, comme un enrichissement de sa propre réflexion au contact de celle de l’autre.
L’élégance du hérisson
Muriel Barbery
éditions Gallimard (2006)
existe aussi en format poche Folio (410 pages)
Accessible à partir de 15 ans